jeudi 29 janvier 2009

Il suffit de passer le pont

Hiroshige, Sur la route du Tokaido
Hodogaya
"Le pont de Shinmachi" (Shinmachi-bashi)

Ce soir, je prends le pont pour passer de l'autre côté de la rivière et arriver au relais de Hodogaya.
J'ai failli oublier cette étape du voyage. Failli oublier qu'on était déjà jeudi. Failli oublier que cela faisait presque un mois déjà qu'on était passé de l'autre côté de l'année - en 2009.

Il faut croire que 2009 commence trop vite puisque je n'ai pas vu passer le mois de janvier. Mais avant d'être arrivé au dernier jour du premier mois, je prends quelques minutes pour répondre à l'invitation de Furoshiki qui m'enjoint à donner mes bonnes résolutions.

Je n'aime pas prétendre engager l'avenir dans des promesses. Car l'avenir, Inch Allah, est, tout au mieux, un vague désir, tout au pire un insaisissable destin.

Si j'avais quand même à faire des résolutions pour 2009, les voici :
1- Mettre le nez dehors et cesser de regarder les poils de chat sur la moquette, du haut du thermostat de la chaudière.
2- Exiger de mes maîtres qu'ils travaillent moins et qu'ils soient plus souvent à la maison.
3- Écrire davantage et aider Geisha Line à aller au bout de ses projets.
4- Commencer à préparer sérieusement mon futur voyage en Corée et au Japon.
5- Tordre le cou de l'espèce de félin qui me martyrise (je finirai bien par avoir sa peau, j'en suis sûr !).

Bienvenue de l'autre côté du pont. Bienvenue en 2009.

  • Pour commencer le voyage depuis le début, c'est ici.



dimanche 25 janvier 2009

Mon premier manwha



Youn-bok Lee vit en Corée du Sud, dans les années 1960, avec son père et ses frère et soeurs. Le pays est meurtri par la guerre et, pour une bonne partie de la population, la vie est limitée à la survie et à la recherche de nourriture. Le jeune garçon, âgé de seulement six ans, doit multiplier les petits boulots, comme vendeur de chewing-gum ou cireur de chaussures, pour espérer ramener quelques wons qui lui permettront de nourrir sa famille. Sa mère est partie il y a quelques années, abandonnant ses enfants et son mari, malade et sans emploi.
Résumée ainsi, l'histoire de Youn-bok paraît sordide. Et, en un sens, elle l'est. Ce qui l'est le plus (sordide), c'est qu'il s'agit d'une histoire vraie : le jeune Youn-bok a réellement existé et a écrit un journal intime pour raconter son quotidien. Découvert par un de ses professeurs, son journal fut publié et remporta un très vif succès. Il y eut même un film adapté dans les années 1960. En Corée, l'histoire du petit Youn-bok est connue de tous.
Ému par cette histoire alors qu'il était encore enfant, le dessinateur Lee Hee-jae (né en 1952) a eu l'idée de l'adapter en bande dessinée - pardon, en "manwha", pour reprendre le terme coréen qui désigne traditionnellement les mangas en Corée. L'album Chagrin dans le ciel rend ainsi hommage au courage de ce valeureux Youn-bok et fait revivre la Corée des années 1960.
En lisant cet album, je me croyais un peu dans un Dickens asiatique. J'ai également beaucoup pensé au manga Gen d'Hiroshima dont je continue la lecture (j'en suis au 5e tome). Mais, contrairement au manga de Nakazawa, l'album est en couleur. Certes, des tons sombres, à dominante sépia, mais dont le style un peu aquarélisé atténue la gravité de la situation. Il y a également dans ce manwha un optimisme, voire une certaine naïveté, qu'on ne retrouve pas dans Gen d'Hiroshima. Beaucoup de belles valeurs - courage, travail, solidarité, respect des maitres d'école... - et en même temps un style sensible et émouvant qui fait passer cet aspect qui pourrait parfois paraître trop didactique.


Chagrin dans le ciel est la première BD coréenne que j'ai lue. Il devrait y en avoir d'autres... Hé oui, grande nouvelle : nous avons réservé les billets d'avion pour notre prochaine destination de vacances ! Et ce sera la Corée du Sud et le Sud du Japon (la région de kyushu) ! On part début avril pour Séoul et on revient trois semaines après de Fukuoka au Japon.
On ne connaît quasiment rien à la Corée et on n'a encore quasiment rien préparé... Mais la perspective de découvrir un nouveau pays et d'approfondir la connaissance d'un autre qui nous est cher nous ravit !
Si vous avez des conseils à nous donner, concernant notre voyage n'hésitez pas !

Chagrin dans le ciel
Hee-jae Lee - Youn-bok Lee
Casterman
Hanguk
2004

  • Quelques critiques ici ou ici.


Retour vers le passé

Saviez-vous que j'étais allé au Japon dans les années 1970, alors que cette petite fille n'était même pas née ?

Si, si, je vous jure, c'est vrai ! J'ai retrouvé dans un vieux carton plein de poussière de vieux polaroïds pris à cette époque :
Je me souviens bien de ce voyage... Quand j'allumais la télé à l'hôtel, je voyais Candy et Golodorak qui passaient en boucle sur les écrans. Ah, le bon vieux temps !

Euh ? Bon, oui, je l'avoue, je suis en pleine distorsion temporelle là ! La vérité-vraie-juré-craché, c'est que j'ai trouvé ce logiciel sur le net et, en au moins de deux, je me suis mis à prendre des polas virtuels !

Et puis, tant que j'y étais, je suis allé aussi sur Photofunia faire des photomontages hypra faciles sans même avoir Photoshop !

Ah, qu'est-ce qu'on s'amuse le dimanche matin lorsque les Moun font la grasse matinée...

jeudi 22 janvier 2009

A la force du mollet sur le Tokaido

Hiroshige, Sur la route de Tokaido
3e relais : Kanagawa
"Vue du sommet de la montagne" (Dai no kei)

C'est "à la force du mollet sur le Tokaido*" que je remonte le chemin escarpé qu'emprunte le troisième relais peint par Hiroshige. Je suis le personnage en bas à droite, avec l'énorme sac à dos sur les épaules.
Je ne me soucie pas des servantes des maisons de thé qui racolent les passants. Peut-être que les deux hommes devant moi, qui vont se laisser séduire, s'appellent Kita et Yaji, comme les personnages de l'écrivain Jippensha Ikku. Les deux drôles sont insouciants et fantasques. Avec mes mollets de randonneur, je vais facilement les doubler sur la route qui me mène à Kyoto.
Pour me donner du courage, je pense à la belle vue que j'aurai lorsque je serai arrivé en haut de la côte. Je verrai ces magnifiques voiles blanches, sur la mer d'un bleu profond. De quoi donner envie de partir loin, loin... si loin.


* C'est le titre de la célèbre œuvre de l'écrivain Jippensha Ikku, le Dickens japonais (dixit Wikipédia). Livre de "gesaku", c'est-à-dire ouvrage comique et moqueur, plutôt léger, publié en 12 parties entre 1802 et 1822.


dimanche 18 janvier 2009

K-do

En ce moment, c'est boulot, boulot, dodo, boulot, coursage de chats dans les couloirs, boulot, consommation de litres de thé vert, boulot, lecture (quand il reste du temps, c'est-à-dire 5 min avant de dormir)... et encore boulot !
Mais bon, heureusement, les amis sont sympas avec nous, les Moun, et, grâce à eux, c'est aussi : cadeaux !
Samedi dernier, nous avons reçu deux sympathiques cadeaux japonais !

Le premier est venu sonner à notre porte à 9 h 30 et s'est d'abord matérialisé sous les traits portugais de notre gardienne. Mais le cadeau, ce n'était pas notre chère Mme Dos Santos (elle s'appelle pas comme ça en vrai, mais bon, je change les noms pour préserver l'anonymat), mais c'était ce qu'elle avait dans les mains : une grande enveloppe brune avec pleins de timbres japonais dessus !
Comme à peine 1/4 de l'effectif de la maisonnée était réveillé à cette heure-là, c'est Geisha Line qui a eu la joie de décacheter toute seule l'enveloppe, et, à l'intérieur, de découvrir ceci :
Dans un joli emballage kittiesque, une jolie trousse Hello Kitty, accompagnée d'une pomme Hello Kitty aimantée et d'un Daruma... et puis surtout une belle carte signée de son expédirice : Noriko, la correspondante de Geisha Line, rencontrée à Nara en avril dernier !
Geisha Line était super touchée par cette gentille attention (car on suppose que ce n'est pas à Maître Moun que les Hello Kitty étaient destinés, einh !).
Noriko est particulièrement tombée juste en choisissant de nous envoyer un "Daruma". C'est en effet elle qui nous avait expliqué l'année dernière qui est cet étrange personnage. On le voyait partout et on ne comprenait pas pourquoi ce drôle de type n'avait pas de yeux.

En fait, il s'agit d'une figurine que l'on trouve dans les temples et qui est porteuse d'espoir. En effet, on fait un voeu et, en même temps, on peint un des yeux manquants. Lorsque le voeu s'est réalisé, on peint alors le deuxième oeil (le droit), en signe de remerciement.
Les Moun n'ont pas encore fait de voeu... mais ça ne saurait tarder !

Le deuxième cadeau, reçu samedi soir, venait de bien moins loin : de Paris, tout simplement ! Le voici, directement sorti de la pâtisserie japonaise Aoki :
Qu'est-ce que c'est ???? Non, ce n'est pas une palette de peinture et non, Maître Moun ne s'est pas soudainement découvert un génie d'artiste spécialiste es couleurs !
Il s'agit en fait de chocolats absolument DE-LI-CIEUX ! Ils sont parfumés à des arômes improbables comme le wasabi, le sésame ou le thé vert. Ça fond sous la langue et c'est d'une grande beauté. Presque si beau qu'on ose à peine y goûter, c'est dire !

Bref, un grand merci, chers amis !

  • Pâtisserie Aoki
    A Paris : 3 lieux de vente - rue de Vaugirard, Port Royal, Lafayette Gourmet.

jeudi 15 janvier 2009

Le type accroupi

Je cours, je bosse et je cours encore... et voilà, le temps passe si vite que j'ai presque failli oublié que nous sommes jeudi et que tous les jeudis de 2009 le voyage sur la route de Tokaido nous attend.
Hiroshige - Sur la route de Tokaido
2e relais : Kawasaki
"Le bac de la rivière" (Rokugô watashibune)

Je vais à Kawasaki, entre Tokyo et Yokohama. Il n'y a pas de pont sur la rivière Rokugô et je suis obligé d'emprunter une barque pour aller de l'autre côté de la rive. Je suis au milieu des pêcheurs et des marchands ambulants. Mais avec le marin qui pousse sur son bâton pour faire avancer l'embarcation toute plate, je pourrais presque me croire à Venise. Sauf qu'au loin il y a le Fuji. Le seul, l'unique.
Je me demande ce que fait le type accroupi, à droite du cheval, sur le bord du rivage.

****

A part ça, chez les Moun, y'a quelqu'un qui, ce soir, a les chevilles qui enflent. Début de la célébrité, en effet : cliquez ici et vous trouverez (entre autre) un texte de notre plus fidèle lecteur. Certes, c'est moi qui ai écrit ce merveilleux article... mais je sais être humble, moi !



vendredi 9 janvier 2009

Pour les enfants

J'avais dit que je parlerai de mes dernières découvertes en littérature pour la jeunesse à tendance japonisante. Alors voilà, je m'y colle ce soir...

Curieusement, à la bibliothèque, j'ai trouvé bien plus d'ouvrages d'histoires se passant au Japon écrits par des Français que par des Japonais. Même dans les livres pour les enfants le Japon est à la mode et est un grand sujet d'inspiration graphique. En toute logique, cela donne des livres parlant du Japon tel que ce pays apparaît dans l'imaginaire occidental, plutôt que des ouvrages donnant vie à la culture japonaise en elle-même. Le Japon fait rêver et les auteurs français en retiennent des images fortes susceptibles d'éveiller la curiosité du lecteur et des personnages symboliques.

L'un de ces personnages phares est celui du samouraï. Le samouraï est avant tout un guerrier, donc un homme dont on peut considérer que sa caractériste première est la violence. Pourtant, on trouve de nombreux samouraï dans les contes pour enfants.

Ito ou la vengeance du samouraï, d'Evelyne Reberg, est un petit "conte de sagesse" (si on en croit le nom de la collection d'Albin Michel Jeunesse), qui s'ouvre sur une terrible scène de massacre - l'attaque de la famille du jeune Ito par un cruel groupe de bandits. Marqué par cette scène traumatisante qui l'a rendue orphelin, le petit Ito décide de se venger dès qu'il sera en âge de le faire. Il quitte ainsi son foyer pour devenir un grand samouraï. Il rencontre Banzo, un vieil homme étrange qui entend faire de lui un valeureux guerrier. Mais on ne devient pas samouraï du jour au lendemain et, avant d'apprendre à se battre, il faut apprendre à devenir patient et à maitriser ses émotions. La vengeance n'est pas un plat qui se mange chaud brûlant. Bien au contraire. La fin de se conte est quelque peu surprenante, mais on est très vite pris par ce récit initiatique.

La légende du jardin japonais, d'Arnauld Pontier, toujours dans la collection "Petits contes de sagesse" d'Albin Michel, met également en scène un samouraï - ou plutôt un daimyo, chef de samouraï. Mais dans ce conte, c'est l'histoire de la fille du samouraï, Senhimé, qui est racontée. Il s'agit d'une histoire d'amour - mais une histoire d'amour tragique, car le père, jaloux et possessif, n'accepte pas que sa fille puisse tomber amoureuse d'un garçon. L'auteur a ainsi imaginé une histoire sur l'origine des petits jardins japonais - ces magnifiques jardins miniatures où tout est parfaitement à sa place et minutieusement agencé.
Si j'ai aimé l'histoire d'amour et la magnifique héroïne qui "était si jolie que les fleurs des magnolias s'inclinaient sur son passage" (page 11), j'ai trouvé qu'à la fin le jardin japonais arrivait un peu comme un cheveu sur la soupe. Le lien entre le jardin et l'histoire des personnages aurait peut-être mérité d'être mieux travaillé ? En tous les cas, j'ai eu un coup de cœur pour les illustrations de François Place qui sont d'une grande précision et en même temps d'une grande pureté. Tous les symboles du Japon y sont - les lanternes de pierre, les toits tombants, les tatamis et le service à thé vert, le sabre du samouraï... - mais en même temps c'est une belle façon de se projeter dans le Japon féodal des contes. A tel point qu'on pourrait croire que ce conte est belle et bien une histoire traditionnelle japonaise.

L'évocation du Japon passe donc principalement par l'illustration et la mise en scène des paysages du Japon des anciens temps. Dans les albums d'Akiko, Antoine Guilloppé recrée le Japon par des choix graphiques innovants. J'ai lu Akiko la curieuse et Akiko la rêveuse (mais il existe aussi un Akiko l'amoureuse). Dans ces petits albums pour les tous jeunes, l'héroïne, qui est une petite fille (curieuse et rêveuse, donc), vit au pied du mont Fuji. Chaque illustration mêle le noir et blanc des traits à des jeux de couleurs. Ainsi la tenue de la petite fille est mise en avant : le jeu du kimono fleuri, très coloré, ressort magnifiquement sur les à plats noirs et blancs du paysage hivernal de Akiko la curieuse. On a l'impression qu'il s'agit de collages, quasiment avec du vrai tissu japonais.
Si j'ai beaucoup aimé le graphisme, j'ai un peu moins adhéré aux histoires. Akiko la curieuse conte le parcours de la petite Akiko à travers une nature parfois hostile, et Akiko la rêveuse, la quête, mi rêvée mi réelle, d'une grand-mère à "l'automne de sa vie". J'ai trouvé que la narration manquait un peu de structure et qu'on passait trop vite d'une idée à l'autre, comme si l'auteur avait du mal à canaliser son récit... mais bon, peut-être ai-je lu trop vite ces petits albums.

Ces petits contes ("de sagesse" dit Albin Michel ou "zen" dit Antoine Guilloppé chez Picquier Jeunesse) révèlent un univers finalement assez différents d'un autre ouvrage que j'ai lu, qui n'est pas narratif, mais uniquement documentaire. Il s'agit d'un joli livre qui, sans doute, ne doit pas se trouver facilement en librairie : Kodomo-e, l'estampe japonaise et l'univers des enfants, de Brigitte Koyoma-Richard (Herman, "éditeurs des sciences et des arts").
Cet ouvrage, reproduisant un grand nombre d'estampes de la période d'Edo, présente des kodomo-e. Ce terme désigne l'ensemble des images consacrées et destinées aux enfants, c'est-à-dire à la fois des images représentants des enfants (et leurs mamans), et des images pour des enfants. A travers ces estampes, on fait un voyage très riche dans l'univers familial du Japon traditionnel. On y apprend beaucoup sur les habitudes quotidiennes, sur la mode vestimentaire et capillaire (ainsi les petits garçons avaient une partie de leur crâne rasée dans leur petite enfance !), sur les croyances médicales, sur les fêtes... On voit que les estampes, témoins de leur époque, sont de beaux documents historiques.
Mais les estampes n'étaient pas des œuvres d'art à afficher dans son salon. Beaucoup d'entre elles servaient de jouets et formaient des maquettes à découper et à plier, des jeux de société, des masques. Elles étaient destinées à être découpées, par exemple pour habiller une poupée de papier ou donnaient des idées pour réaliser un théâtre d'ombres chinoises. L'estampe était donc une vraie image ludique. Les petits Japonais de l'époque étaient déjà bien gâtés !

La légende du jardin japonais
Arnauld Pontier
Illustrations de François Place
Albin Michel Jeunesse
Collection "Petits contes de sagesse"
2003

Ito ou la vengeance du samouraï
Evelyne Reberg
Illustrations d'Olivier Tallec
Albin Michel Jeunesse
Collection "Petits contes de sagesse"
2001

Akiko la curieuse
Akiko la rêveuse
Textes et illustrations d'Antoine Guilloppé
Picquier Jeunesse
2004

Kodomo-e - L'estampe japonaise et l'univers des enfants
Brigitte Koyama-Richard
Hermann
2004

jeudi 8 janvier 2009

Dix mille koku

Aujourd'hui, deuxième jeudi de janvier, je commence vraiment mon voyage sur la route de Tokaido.
Hiroshige - Sur la route de Tokaido - 1er relais : Shinagawa
"Le lever du soleil" (Hi no de)

Pourtant, je n'ai pas quitté Tokyo. Me voici dans un quartier du Sud de la ville : Shinagawa. C'est le petit matin, le soleil se lève. Mais déjà les restaurants qui longent la côte sont ouverts et attendent leurs clients. Le chemin est emprunté par un daimyô. On ne voit pas la tête de ce gouverneur féodal, qui est cachée par les bâtiments. Mais on distingue le dos des personnes qui composent son cortège : les samouraï, qui portent leur arc sur l'épaule, et les porteurs de bagages, avec leur chapeau arrondi. Je n'arrive pas à voir ce qu'ils transportent dans leurs lourdes caisses.

J'aime à penser que ce daimyo était un des plus grands seigneurs de l'époque. Combien de milliers de koku de riz pouvait-il gagner par an ? Un koku était une unité de mesure de l'époque, équivalent à la quantité de riz mangée par un Japonais en un an, soit 180,39 litres de riz. Si ce daimyo gagnait 10 000 koku de riz, cela signifie que sa richesse lui aurait permis de manger 1 803 900 litres de riz en un an. Ce n'est pas rien.

Y a-t-il quelques dizaines de litres de riz dans les caisses des porteurs ?

dimanche 4 janvier 2009

Kanji

"Il y a longtemps, m'a raconté Haha, à chaque fois qu'une femme poussait un soupir, on disait qu'elle perdait une goutte de sang." Et, dans sa tristesse et sa solitude, plus la femme perd de gouttes de sang, plus elle devient pâle... C'est ainsi qu'est devenue la maman du petit Kanji : sa peau est maintenant si claire qu'elle est presque aussi transparente que les ailes d'une libellule. Le jeune garçon décide donc de partir à la recherche de couleurs, pour redonner vie au visage de sa maman. Il est aidé par un joli papillon jaune...

L'album Kanji, de Lisa Bresner, commence ainsi ce joli voyage qui va nous mener à travers les couleurs : le jaune (kiro) du papillon, le rouge (akaï) du coquelicot, le noir (kuroï) et le rose (bara) de la si rare mélancolie, le blanc (shiroï) de la fleur de lotus.
Des mots japonais parsèment l'histoire. Ils ne sont pas traduits, mais introduits dans le cours du récit. En début d'ouvrage, un lexique franco-japonais, accompagné en pages de garde par le dessin des idéogrammes, donne la signification de la trentaine de termes utilisés. Mais, pris par l'histoire, on n'a pas vraiment besoin de s'y reporter pour être immédiatement séduit par ce petit récit. Les mots japonais s'intègrent parfaitement dans la narration et contribuent même à rendre le récit encore plus poétique, lui donnant un certain mystère.
Les illustrations d'Anne Buguet accompagnent merveilleusement l'histoire. Certaines pages sont inspirées d'estampes japonaises, comme les premières doubles pages où l'on voit le portrait de la maman qui ressemble étrangement à une silhouette peinte par Utamoro.
Pour écrire ce compte rendu sur ce joli album, j'ai tapé le nom de l'auteur dans Google. J'ai vu que Lisa Bresner avait écrit des dizaines de livres, qu'elle était née en 1971 et était professeur de chinois... Et puis j'ai découvert qu'elle s'était donnée la mort à l'été 2007, quelques semaines à peine avant la parution de cet album chez Picquier Jeunesse. Elle n'avait que 36 ans. Sa bibliographie est impressionnamment longue, riche et diverse (romans pour adultes, albums pour enfants, poésies érotiques, et même un film). On devine que sa vie a eu lieu à cent à l'heure. Peut-être avait-elle le sentiment que sa vie serait courte ?
Découvrir un livre et, derrière lui, une personnalité riche qu'on devine belle, et, aussitôt après, apprendre que celle-ci n'est plus, m'a rendu un peu triste. Le témoignage de son amie, de l'éditeur Hubert Nyssen d'Actes Sud ou de son éditeur chez Gallimard (voir les commentaires de l'article) sont émouvants et m'ont donné envie de lire d'autres livres de Lisa Bresner. A-t-elle trop soupiré et perdu trop de gouttes de sang ? N'a-t-elle pas rencontré de papillon pour l'aider à reprendre espoir ?

Kanji
Lisa Bresner
Illustrations d'Anne Buguet
Picquier Jeunesse
2007


jeudi 1 janvier 2009

Départ en voyage

Pour bien commencer 2009, les Moun ne prendront pas de bonnes résolutions. Les bonnes résolutions, cela ne sert à rien, sinon à se donner mal à la tête et à s'infliger une forte dose de mauvaise conscience douze mois plus tard, lorsqu'on s'aperçoit que rien de ce que l'on a dit qu'on ferait n'a été effectivement fait.

Pas de bonnes résolutions, certes. Mais tout de même, on ne peut pas commencer l'année comme ça, comme si de rien n'était. Je veux croire qu'en 2009, il y aura du neuf - du beau neuf qui fera rêver et se sentir bien, du neuf inconnu plein de découvertes et de grands voyages, du neuf inédit avec de jolis mots et de belles images. Alors voilà, pour célébrer cette entrée en 2009, j'ai résolu de me laisser guider par un grand maître qui, plus que d'autres artistes, me fait rêver : Utagawa Hiroshige. J'ai envie, tout au long de 2009, de voyager à ses côtés de Tokyo à Kyoto et de m'évader dans ses couleurs.

Hiroshige (1797-1858) a effectué ce voyage entre Tokyo (qui s'appelait alors Edo) et Kyoto en 1832. Il était membre d'une délégation officielle convoyant des chevaux devant être présentés à la cour impériale. J'imagine que durant son voyage, il devait avoir dans sa poche un carnet de croquis. A l'époque, on ne pouvait pas prendre de photographies pour se souvenir de tout ce que l'on voyait. L'artiste a fait des petits croquis, comme un écrivain, lui, aurait pris des notes. Il voulait se souvenir de chacun des merveilleux paysages qu'il traversait. Il ne voulait rien oublier des fleuves et des montagnes qu'il franchissait, pour pouvoir, une fois de retour chez lui, immortaliser son voyage dans des estampes. C'est exactement ce qu'il fit. De retour à la maison, il peignit les "cinquante-trois stations du TôKaidô". Chaque station est un point étape, un refuge entre deux déplacements, pour se reposer et pouvoir reprendre la route le lendemain.

En vérité, Hiroshige fit 55 estampes; : aux 53 stations proprement dites, il a ajouté le point de départ, puis, tout au bout de la série, le point d'arrivée. Si je poste ici une estampe d'Hiroshige tous les jeudi, dans 55 semaines, au tout début 2010, Hiroshige nous aura menés jusqu'à Kyoto et, avec lui, nous aurons voyagé durant cette année. Je sens déjà l'excitation du départ. Un peu comme si on m'avait posé un sac à dos sur les épaules. Que vais-je donc découvrir ?

Aujourd'hui, en ce 1er janvier 2009, je suis sur le pont de Nihon-Bashi, à Edo. Il s'agit d'un point de convergence entre les cinq routes principales du pays. Ce fameux pont est la mesure étalon des distances au Japon, un peu comme Notre-Dame à Paris. C'est l'aube. Le soleil n'a pas encore grimpé dans le ciel. Tout le monde s'affaire. J'ai du mal à me faire une place parmi la foule de marchands. La route s'annonce longue. Mais je suis prêt.

Hiroshige, 53 stations du Tôkaidô - le pont de Nihon-Bashi

Mon voyage sur la route de Tôkaidô, je sais que ce n'est pas réellement à travers le Japon que je vais le faire. Le Kansai d'Hiroshige n'existe plus aujourd'hui. Plus encore, je pense que même à son époque il n'existait pas ainsi qu'il l'a représenté. L'imagination a recréé des paysages fantasmagoriques qui ressemblent un peu à la réalité, mais si peu au fond. Les voyages intérieurs sont tellement plus beaux, plus grands, plus forts. Pourquoi vouloir les confronter avec le réel ?

Le Japon d'Hiroshige n'existe plus. Aujourd'hui, la route de Tôkaidô est noyée sous le béton et les autoroutes. Plus de pavés, mais les rails du shinkansen et, partout, la ville, les immeubles, les fils électriques, les voitures, et la nature qui s'est enfuie. Le photographe Thierry Girard, en 1997, a refait plus d'un siècle et demi plus tard, le voyage d'Edo à Kyoto et a posé un "regard contemporain sur le Japon du quotidien et de l'ordinaire". Ses photos sont fascinantes. Et pourtant, Hiroshige paraît si loin.

Allons-y, partons sur la route de Tôkaidô... Êtes-vous prêt à me suivre ?

La route de Tôkaidô (source de la carte)


Petit hommage à Dvorah à qui j'ai insolemment volé cette brillante idée ! Allez voir son site : elle a commencé son voyage en ukiyo-e bien avant moi !