mercredi 28 mai 2008

Le jeu des 7 erreurs

Voici deux photos. Observez-les bien.L'une de ces photos n'a pas été prise au Japon. Trop facile, allez-vous dire ! C'est vrai que les lettres arabes à l'angle de la rue de la première photo trahissent fort aisément son secret. En effet, cette photo a été prise à Beyrouth, en 2004 - en un temps où le pays n'était pas en guerre (je le précise, car c'est tout de même suffisamment rare !).
Mais la deuxième photo, d'où vient-elle ? A regarder les milliards de fils qui s'emmêlent les uns dans les autres et qui tissent de savants nœuds dans le ciel bleu, on aurait vite fait de croire que la scène se passe également au Liban. Mais non, le second cliché a été pris au Japon. Plus précisément dans une rue de Nagano. Mais quantité de photos analogues auraient pu également être prises dans d'autres rues d'autres villes du Japon. Voici ci-dessous la preuve que de tels ciels électriques se trouvent bien au Japon : cette photo a été prise à Kyoto.

Pour une raison qui m'échappe (tremblements de terre ? coûts financiers ?), au Japon les fils électriques ne sont pas enterrés dans le sol et courent librement d'un immeuble à l'autre, s'agglutinant autour des poteaux.
Pas très esthétiques, n'est-ce pas ? Certes, mais ces imbroglios de fils sont si typiques du Japon qu'ils ont su créer un esthétisme cinématographique : sur ce blog, on peut ainsi voir quelques extraits de films évoquant ces fameux quadrillages électriques.

Maintenant, la comparaison entre le Liban et le Japon s'arrête là, il n'y a pas de doute...
Au Japon, les passants s'arrêtent au feu rouge même lorsqu'ils sont dans un cortège de manifestants. Au Liban, un feu tricolore est une curiosité urbaine devant laquelle personne ne pense à simplement ralentir.
Au Japon, on se met en file d'attente bien ordonnée devant l'arrêt de bus et on attend patiemment chacun son tour avant l'arrivée du métro ou du bus. Au Liban, les arrêts de bus n'existent pas vraiment : yalla, le bus s'arrête là où on lui demande. Pourquoi donc s'embêter avec des trajets tout tracés et des cartes invariables ?
Au Japon, il est d'usage de croire à plusieurs religions en même temps sans rien trouver à y redire, au point qu'il n'y a jamais eu dans l'histoire aucune guerre de religion. Au Liban, tu es ce que tu crois et la religion n'est pas seulement une appartenance identitaire, mais (hélas) bien souvent un combat.
Au Japon, personne n'irait l'idée de se demander pourquoi obéir et respecter les lois. Au Liban, l'ordre ambiant est désordre et les lois, quand elles existent, sont souvent édictées pour être bafouées.
Au Japon, on n'ose pas vraiment dire qu'on ne partage pas les mêmes idées que son interlocuteur. Au Liban, discuter signifie dire bien fort son désaccord (sinon, c'est pas drôle).

Bon, allez, j'arrête ici mes lieux communs et mes clichés culturels !



vendredi 23 mai 2008

Poissonophagie

L'audience de ce blog a depuis quelque temps fait une chute vertigineuse. On n'intéresse pas grand monde, on dirait...
A grands maux, les grands moyens. Utilisons des tactiques qui ont fait leur preuve dans certains médias pour remonter l'audimat : un petit coup de sensationnel ! Mais soyons soft tout de même : pas de sexe, pas de sang, juste quelques images choc pour réveiller les âmes sensibles.

Maître Moun et Geisha Line aiment bien le poisson cru - le goût délicat et frais du poisson sous la langue leur paraît être une finesse suprême. Il semble pourtant que biens de gens n'aient pas le même goût et que la simple idée de manger du poisson sans le cuire en dégoûte plus d'un. C'est la conclusion à laquelle en est arrivée Geisha Line en montrant son album photos de voyage. En arrivant à la page montrant les photos du dîner pris dans un sushi-bar à Hiroshima, ses amis et collègues ont pu contempler ces clichés :

Devant cette page, 70 % des gens se sont écriés : "Ah quelle horreur, tu as mangé ça ? Mais c'est cru ! Comment tu as pu ?" Il est vrai que le poulpe cru a un petit goût d'élastique, mais ces sushis-là étaient quand même très bons. D'ailleurs, ce qui avait étonné Geisha Line lorsqu'elle avait pris cette photo, ce n'était pas le fait que le poisson soit cru, mais c'est la taille des sushis : trois fois plus longs et plus épais que dans les restaurants japonais de France et avec deux fois moins de riz !

Vue la réaction de ses interlocuteurs, Geisha Line n'a pas osé en raconter plus sur les poissons crus. Pourtant, mes maîtres ont fait bien pire que de manger des poissons crus : avaler un poisson vivant ! Enfin, à la vérité seul Maître Moun a osé s'y risquer. D'ailleurs, si vous êtes son ami, j'imagine que vous connaissez déjà l'histoire...

Voici donc mon histoire sensationnelle. Elle se passe dans un petit restaurant de sushis d'une petite ville de montagne, Yudanaka (pas très loin du parc naturel des singes). Un midi, mes maîtres étaient entrés dans ce restaurant et s'étaient fait servir de jolis sushis et sashimis.
Ils ont trouvé ceux-ci si bons que pour le dîner ils ont eu la folie de revenir dans le même restaurant. Le maître-sushis, bien sûr, les a reconnus aussitôt. A Yudanaka, il n'y a pas tant de touristes occidentaux que cela. Devant la carte en vitrine (des plats en plastiques, comme souvent), Geisha Line s'est moquée de Maître Moun qui souhaitait goûter le menu avec un poisson : "Si ça se trouve, ton poisson, il sera vivant !", a ricané Geisha Line. Maître Moun, bien sûr, ne l'a pas cru. Mais il aurait dû...

Quand Geisha Line et Maître Moun ont vu arriver leurs plats commandés, ils n'étaient pas au bout de leur surprise. Dans les sushis de Geisha Line, il y avait deux fois plus de wasabi que dans les sushis du déjeuner, le maître cuistot prenant sans doute mes maîtres pour de vrais amateurs de cuisine à la japonaise. Mais les boulettes de riz à la sauce verte épicée, ce n'était rien. Le clou du repas, c'était le poisson de Maître Moun. Le cuisinier l'avait attrapé à l'épuisette dans le grand aquarium se trouvant juste derrière lui et voilà, après quelques coups de couteau bien placés, quelques minutes plus tard, le poisson encore frétillant était dans le plat de Maître Moun ! J'aurais aimé pouvoir filmer la tête de mes maîtres lorsque le chef est venu déposer en personne le poisson sur la table : ils ne savaient pas s'ils devaient rire, se scandaliser... ou partir à toutes jambes ! Mais impossible de fuir, le Maître-Sushis regardait ses intrépides touristes occidentaux d'un oeil vigilant. Alors, tandis que Geisha Line tournait pudiquement les yeux pour ne pas voir l'agonie du poisson dans la bouche de son mari, Maître Moun s'est armé de courage et a attrapé le poisson avec ses baguettes. La tête du poisson frétillait encore alors que sa chair était déjà dans l'estomac de Maître Moun !
La preuve en vidéo (c'est court, désolé) :


Mes maîtres sont des barbares, n'est-ce pas ?

Une fois que Maître Moun eût avalé la chair du poisson, la serveuse est venue reprendre le plat. Maître Moun croyait que le repas était fini. En fait, la serveuse est revenue quelques minutes plus tard en ramenant la tête (définitivement sans vie, cette fois-ci) et l'arrête centrale finement grillées. Pas de gachis : dans le poisson, tout se mange ! Interrogeant le cuisinier (autant que possible quand on ne parle pas la même langue), nous avons appris que ce fameux poisson s'appelait "aji", c'est-à-dire "chinchard" en français.

Maître Moun a-t-il apprécié son plat ? En tout cas, je pense qu'il n'est pas prêt d'oublier cette expérience culinaire !



Surprise-party au nekko-bar

Pour mes maîtres, la vie avec un mouton en peluche est plutôt facile. Depuis notre retour du Japon, ils m'ont posé en équilibre sur le thermostat de la chaudière et ont complètement oublié mon existence. Il faut dire que je suis très sage.
Je n'en dirais pas autant du chat ninja qui a plutôt tendance à rendre chèvres mes maîtres !Naïvement, Maître Moun était persuadé qu'avec une bonne ovariectomie, la Mina deviendrait sinon plus intelligente (faut pas rêver quand même), du moins (un peu) plus calme. Hé bien non, avec ou sans ovaire, ce chat est une vraie furie !

Depuis quelques soirs, dès que la nuit tombe, Mina s'amuse à organiser des surprises-parties dans l'appartement. Je ne sais pas combien elle a d'invités, mais à écouter le bruit que fait tout ce beau monde, c'est à croire que le Tout-Paris est concentré dans l'appartement, tandis que mes maîtres essaient vainement de dormir. Dérapages non contrôlés dans le couloir, débouchage acharné d'évier, rangement furieux du moindre papier oublié. La dernière trouvaille de la bête est de monter sur les étagères des bibliothèques et de faire tomber un à un tous les bibelots qui s'y trouvent. Adieu joli photophore bleu ramené en cadeau des îles Grecques, adieu petit poussin vide-poche rempli de pièces de 1 centime, adieu chats en porcelaine revenus d'Angleterre... La vie est courte quand on est un petit objet potentiellement cassable et qu'on partage l'existence de ce monstre poilu.

Mais Maître Moun est bien décidé à ne pas se laisser mener le bout du nez par un sale matou ! Il a pris les choses en main.
- Première mesure : l'auto-défense. Tout ce qui est porte est scrupuleusement fermé au moment du coucher. Hélas, impossible de fermer la salle de bain où se trouve la litière. Mais Maître Moun, qui a plus d'un tour dans son sac, a eu l'idée de scotcher les portes du placard de la salle de bain, afin d'éviter d'avoir à retrouver le matin tous les cotons-tiges en éventail sur le carrelage.

- Deuxième mesure : l'épuisement de l'adversaire. Chaque soir, 15 minutes sont consacrées à l'entraînement physique du ninja. Epreuves intensives qui rendent le minou tout essoufflé : jeu du va-chercher-grenouille, auquel Mina, qui a un caractère de chien (en sens propre), se prête à merveille ; concours de saut en hauteur et en longueur ; cache-cache derrière les fauteuils. Qu'est-ce qu'on s'amuse chez les Moun à 11 heures du soir !

- Troisième mesure : l'éloignement. Cette solution est encore à l'étude. L'idée serait de faire comme les Japonais et de distraire le chat en l'emmenant dans un nekko-bar, histoire de lui faire rencontrer ses congénaires.

C'est quoi un nekko-bar ? Néophytes que vous êtes ! Il s'agit d'un café ou d'un bar où on trouve des chats (nekko). En fait, pour la plupart d'entre eux, il s'agit surtout d'un concept purement marketing : il suffit que le propriétaire du restaurant possède un chat pour qu'il fasse appeler son établissement ainsi. Mais dans certains cafés, les clients peuvent venir avec leur chat et prendre le thé avec lui. C'est dingue, non ?

Quand Geisha Line a appris l'existence des nekko-bars, elle a tout de suite voulu en visiter un (par contre, Maître Moun, lui, n'était pas chaud-chaud). La correspondante de Geisha Line, qui avait le guide complet de tous les établissements à chat de Tokyo, l'a amenée dans une petite rue dans un minuscule bar de Shinjuku. Après m'être faufilé dans cet endroit enfumé, j'ai pu faire connaissance - hélas ! - avec le maître des lieux : un clone de Mina le ninja dont je m'étais cru débarrassé en partant à 10 000 kilomètres de la France ! La bête n'avait vraiment pas l'air commode.

Ma rencontre avec le félin à la queue coupée (spécificité des chats japonais apparemment) a été un moment périlleux de mon voyage.
Heureusement, je me suis fait des amis pour affronter cette épreuve.

Atsuko, la correspondante de Geisha Line
Mes potes les guerriers (devant la photo du chat de la maison)

J'ai pu me remettre en trempant mes lèvres dans le verre de shochu de Maître Moun. Le shochu, c'est un alcool de riz, un peu comme le saké.

Admirez l'iceberg qui prend presque toute la place dans le verre !

Bref, pour en revenir à nos histoires, je me dis qu'amener Mina dans un nekko-bar et la faire boire du saké, ça pourrait peut-être la calmer et permettre à chacun de retrouver le sommeil. Qu'en dites-vous ?



Qui a dit que c'était pas gagné ?

mercredi 14 mai 2008

Clic-clac, dans la boîte

Depuis la France, on a l'image des Japonais que ceux-ci nous montrent d'eux comme touristes lorsqu'ils viennent en visite à Paris. Vous savez, les cars entiers remplis de Japonais qu'on débarque pour une visite éclair - et non pas moins chronométrée à la seconde - au pied de la Tour Eiffel ou du Château de Versailles et qui, en moins de cinq minutes, ont déjà mitraillé tout ce qu'ils pouvaient. Ne mentez pas, je suis sûr qu'il vous est déjà arrivé de vous moquer du touriste japonais type : celui qui a l'œil rivé à son objectif, les doigts cramponnés à son appareil photo dernier cri, et qui est si obsédé des clichés qu'il veut ramener dans son pays qu'il en oublie de regarder le paysage.
Comme je fuis les clichés et les idées toutes faites, j'aimerais vous dire que ce n'est pas vrai, que le Japonais n'est pas comme ça et que c'est là une caricature que de le considérer comme un fou de photo. Mais en fait non. Personnellement et en toute honnêteté, j'ai trouvé que le Japonais du Japon se comportait avec son appareil photo exactement de la même façon que le Japonais touriste en France. Pareil, exactement pareil !

Jouant sur les effets de mise en abyme, Maître Moun s'est donc amusé à photographier les Japonais en train de photographier, histoire de vous montrer que parfois la réalité ne vaut pas mieux que son cliché.

Voici un monsieur, certainement à la retraite, qui, le dimanche se rend dans le parc entourant le sanctuaire Meiji, y trimballe tout son matériel digne d'un vrai professionnel, et prend tout son temps pour trouver le meilleur endroit qui fera la meilleure photo du meilleur des cerisiers en fleurs :

Au Japon, le trépied n'est pas un accessoire réservé aux professionnels. Nous avons croisé plusieurs familles dont le mari avait la joie d'avoir à se promener avec ce lourd ustensile sur les épaules. A tel point que dans certains des musées ou temples que nous avons visités, il y avait la mention à l'entrée "trépieds interdits". Forcément, si les trois quarts des touristes se ramènent avec un long et lourd manche en métal dans le musée de céramiques anciennes, cela peut faire des dégâts !

A vrai dire, le désir d'immortaliser le moment en photo est plus grand que celui de faire une photo esthétique. A cet effet, le téléphone portable qui fait aussi appareil photo est bien pratique.
Nous avons vu plusieurs Japonais amateurs dégainer leur téléphone devant le moindre cerisier en fleurs... à tel point qu'on peut imaginer qu'en avril au moins 80 % des Japonais ont en fond d'écran la photo d'un cerisier en fleurs.
La photo ci-dessus a été prise à Tokyo, dans le quartier Asakusa, sur le pont Azuma, au-dessus de la rivière Sumida. C'était juste à côté de l'immeuble surélevé par la goutte d'or de la Brasserie Ashai.
Mais ce qui obsédait ce monsieur en costume, c'était les cerisiers bordant le parc Sumida. Sur cette photo, on devine l'excitation de son regard et sa jouissance à l'idée qu'il va enfermer dans son petit téléphone les fleurs roses de ce début avril. Combien en avons-nous croisé comme lui qui prenaient les poses les plus insensées pour immortaliser les fleurs de cerisiers ? Souvent, Maître Moun, en photographe amateur et néanmoins averti, s'est amusé des positions impossibles que ces Japonais prenaient (jambes écartées et pliées, assis au-dessus du vide) et des libertés impardonnables qu'ils s'octroyaient avec les règles minimales de photographie (gros plan excessivement gros, contre-jour irrévocable, ambition impossible devant un flash censé éclairé un monument de 20 mètres de haut...).

Mais en même temps, il y a dans cette obsession des Japonais à prendre en photo leurs cerisiers en fleurs une joie non dissimulée et un amour véritable pour ce que le printemps fait de leur pays. Il y a l'empressement fébrile à profiter au maximum d'une beauté qu'ils savent éphémère. Photographier à tout prix le magnifique cerisier car demain déjà il ne sera plus aussi beau et qu'après-demain les minuscules pétales rosés s'évanouiront en tempêtes de fleurs. L'obsession de la photo du cerisier en fleur est telle que souvent les Japonais en oubliaient de regarder ailleurs. Ainsi, à Kamakura, au sanctuaire Hachiman-gu, les cerisiers en fleurs étaient si éclatants au bord du petit étang qu'il semblait que personne n'ait l'idée de jeter un coup d'oeil également aux statues entourant le sanctuaire shintoïste.
Devant certains monuments connus, il y a même un photographe professionnel (un vrai professionnel cette fois-ci) qui propose de prendre en photos les touristes qui, pauvres malheureux, auraient oublié leur appareil. Ainsi, à Kyoto, nous avons surpris une classe entière, en voyage scolaire, en train de se faire photographier avec leur professeur. Nous étions juste derrière le photographe pour prendre le cliché, d'où l'impression que les enfants regardent notre objectif :

Grâce à cet état d'esprit, il s'avère très facile pour un touriste étranger de prendre des photos. On ne se sent pas intrus : on fait comme tout le monde - même comme les hommes d'affaires ! Du coup, des Japonais laissaient Geisha Line poser longuement sous l'objectif de Maître Moun, attendant patiemment que la voie soit redevenue libre pour passer. D'autres ont même proposé spontanément à mes maîtres de les prendre en photo. Rien de plus facile que de partir au Japon en couple pour en ramener des tas de photos de soi en amoureux ! Sauf que pour un Japonais le geste indispensable sur une photo est la main en l'air avec l'index et le majeur en signe de victoire. Comment ces jeunes écolières :
Ou, si vous préférez, comme la dame ci-dessous :

Mes maîtres ont donc rapporté toute une série de photos où ont les voit crier Victoire au lieu de s'exclamer "Cheese" ou "Ouistititi" !

Rêver dans un yukata

Avant de partir au Japon, quand elle a effectué les réservations des hôtels, Geisha Line a été étonnée de voir que certains établissements annonçaient qu'ils mettaient dans les chambres, à disposition de leurs hôtes, non seulement du gel douche et des brosses à dents (de piètre qualité en vérité), mais aussi des pyjamas. Des pyjamas ? "Mais comment peut-on savoir d'avance la taille du client ?", se disait Geisha Line avant de mettre les pieds dans un ryokan. Une fois sur place, elle a pu se rendre compte qu'en fait les prétendus pyjamas n'avaient rien à voir avec le vêtement auquel on pense en France. D'ailleurs, il ne s'agissait pas de pyjama, mais très exactement de "yukata".

Le yukata est un kimono léger et simple, en coton. Il est généralement fourni par les ryokans et les établissements de bain, au même titre que les serviettes de toilette. Il se porte particulièrement en été, le soir, pour se balader ou revenir des bains. Bien sûr, quand Geisha Line et Maître Moun ont découvert pour la première fois les yukatas qui les attendaient dans leur petite chambre de ryokan, précautionneusement pliés au-dessous de la ceinture savamment présentée, ils se sont marrés. Ils ont revêtu cérémonieusement leur peignoir japonais et ont mis l'appareil photo en mode retardateur pour immortaliser la scène.
A Tokyo

Mais très vite, ils se sont rendus compte que le yukata dans un ryokan où la salle de bain est collective et se trouve généralement assez loin des chambres, n'était pas du tout un accessoire futile, mais pouvait s'avérer très utile. C'est toujours plus agréable de se promener dans les couloirs avec le yukata de l'hôtel et moins gênant que de revenir de la salle de bains avec son propre pyjama ! Et puis, cela met tout de suite dans l'ambiance - un peu comme si, une fois entré dans le ryokan, on se mettait à vivre le temps d'une nuit en dehors des modes et de leur actualité.

Ainsi, comme ils changeaient souvent d'endroit et qu'ils n'avaient réservé que des ryokans, Geisha Line et Maître Moun ont essayé pas mal de modèles de yukata différents. Beaucoup étaient blancs avec des motifs géométriques bleus marines.
A Tokyo toujours

A la montagne, les yukatas étaient fournis avec une grande veste chaude.
A Nagano

Mais il y avait parfois des variantes, comme au ryokan de Bessho Onsen où le yukata était vert à fleurs, avec une grosse ceinture bordeaux et était accompagné d'une veste nommée haori pour les soirées fraîches d'hiver.
A Bessho


Alors que dans les autres ryokans, la ceinture du yukata était simplement en coton épais, comme dans les kimonos des judokas, dans celui-là, la ceinture (obi) était en tissu, mais bien sûr pas aussi longue que le obi traditionnel du vrai kimono. Geisha Line la nouait comme elle pouvait, mais normalement le noeud doit suivre une procédure précise et être disposé à l'arrière. Pour ceux qui veulent nouer son yukata dans les règles, un petit conseil : allez dans Youtube et tapez "yukata", vous trouverez des tas de vidéos montrant précisément comment revêtir son yukata ! On peut faire des noeud de style papillon (Choucho Musubi) ou boite (Bunko Musubi). En tous les cas, il ne faut pas oublier que le côté gauche doit être sur le dessus (et donc le côté droit en dessous). Dans les ryokans, il y avait le même modèle que ce soit pour hommes ou pour femmes. Mais un vrai yukata féminin est facile à reconnaître : il est généralement très coloré et représente des fleurs, et on trouve une fente verticale dans les manches (furi), au niveau des aisselles (pratique pour s'aérer !).

Je repensais à tout cela hier en lisant un joli petit album d'un auteur dont j'ai déjà parlé, Frédéric Boilet. Dans Mariko Parade, le mangaka français a collaboré avec une jeune dessinatrice japonaise, Kan Takahama. Tous deux ont allié leurs plumes pour raconter, avec lenteur et délicatesse, quelques jours dans l'histoire d'amour entre un auteur de BD et son jeune modèle, venus en repérage sur l'île d'Enoshima. Le prétexte de départ était de rassembler dans un même ouvrage des travaux d'illustrations de Frédéric Boilet parus dans plusieurs albums et revues (dont L'Epinard de Yukiko), en créant une histoire autour de ces dessins épars et en laissant à Kan Takahama le soin de réaliser les dessins intermédiaires. Malgré le côté éclaté du projet de départ, l'ensemble est cohérent et on se laisse très vite séduire par la qualité photographique des dessins de Boilet et l'originalité de leur point de vue, ainsi que par la tendre histoire d'amour qui unit les deux héros tout en les séparant peu à peu...
Je n'en raconterai pas plus. D'autres avant moi l'ont fait (ici ou encore ici par exemple) beaucoup mieux ! Revenons-en plutôt au yukata qui prend une place relativement importante dans ce roman graphique, au point qu'on le retrouve mis en couleur sur la page de couverture :

Le couple loge dans un ryokan et en arrivant dans leur chambre, l'héroïne, Mariko, revêt le yukata mis à disposition. Il s'agit d'un yukata à motifs fleuris, représentant des hortensias bleus. Pour le personnage masculin, le mangaka, l'hortensia est la fleur qui symbolise l'amour éternel... mais ne se trompe-t-il pas ? (je n'en dis pas plus, il faut aller jusqu'à la dernière page pour comprendre). Le mangaka, séduit par la beauté de sa petite amie enveloppée dans son yukata bleu/mauve, lui demande d'aller sur la plage et de prendre la pose sous l'objectif de son appareil photo. Evidemment, comme le yukata est quand même au départ un pyjama, la jeune fille se trouve un peu ridicule sous le regard des passants ! Pourtant, elle est vraiment mignonne sous les traits des dessinateurs...

En revêtant son yukata, qui est un peu usé et dont les motifs sont quelque peu décolorées, Mariko se demande combien de personnes avant elle l'ont revêtu. Voilà donc ce qui m'a laissé rêveur hier soir : j'ai essayé d'imaginer toutes les personnes qui avaient pu s'habiller de ce yukata vert, dont Geisha Line s'était vêtue à Bessho. Combien d'histoires ? Combien de destins ? Combien de rêves, éveillés ou endormis, nés dans les nuits où des corps étaient enveloppés par ce yukata-là ?

Mariko Parade
Frédéric Boilet et Kan Takahama
Casterman, Collection "Écritures"
2003





jeudi 8 mai 2008

Littérature culinaire

Vous allez dire qu'il n'y a que la bouffe qui nous intéresse. C'est vrai, quand on ne parle pas de la nourriture que l'on mange, on déblatère sur la nourriture que l'on prépare. Et voilà maintenant que l'on va se mettre à écrire que la nourriture qu'on lit !
Figurez-vous que les Japonais sont si fiers de leur cuisine, élément essentiel de leur culture, qu'ils ont inventé un nouveau genre littéraire : le manga culinaire. Je ne sais pas si c'est une appellation officiellement certifiée, mais en tous les cas ce serait le meilleur qualificatif pour désigner les deux ouvrages que je v
iens de dévorer (c'est le cas de le dire !).Le premier manga est l'œuvre d'un auteur pour qui je vous ai déjà avoué mon coup de cœur : Jirô Tanigucchi. Pour dessiner Le Gourmet solitaire, Tanigucchi s'est lié avec Masayuki Kusumi qui a imaginé le personnage du livre (et qui signe une appétissante postface en forme de nouvelle). Le Gourmet solitaire a beaucoup de points communs avec L'homme qui marche : on y trouve la même poésie du quotidien et la même philosophie hédoniste pour l'attention portée à tous les petits détails du présent. Sauf qu'il s'agit ici d'un homme qui mange ! Le livre est organisé en petits chapitres centrés autour d'un quartier et d'un plat. Dans chaque micro-histoire, on voit le héros (dont on ne sait rien de lui sinon qu'il est représentant en commerce) découvrir avec un plaisir non dissimulé un plat typiquement japonais. Le repas qu'il fait, dans un boui-boui de Shibuya, un parc de Shakujii ou même dans le shinkansen Hikari qui le mène à Osaka, est l'occasion pour cet homme de voir renaître des souvenirs ou de faire des rencontres inattendues.
Maître Moun, qui l'autre soir a subtilement piqué le livre à Geisha Line pour le lire dans le métro, est revenu à la maison complètement décontenancé : "Mais c'est quoi ton truc, y'a pas d'histoire ! Il ne fait que manger !" Hé oui, pages après pages, on voit le même homme attablé et la fin du chapitre correspond à la fin du repas. Mais c'est justement l'intérêt de ce livre, qui ne ressemble à aucun autre. Comme le dit le traducteur de l'ouvrage (Patrick Honnoré) en préface, ce n'est pas de la "BD fast-food", mais c'est de la bande dessinée à déguster avec lenteur et sans modération : "c'est de la cuisine du patron, c'est du pot-au-feu de la grand-mère de Limoges, et parfois, c'est des cerises au sirop d'Alphonse Daudet". Le personnage dessiné est un fin connaisseur, à la fois gourmet et gourmand, capable d'apprécier les mets les plus variés. La joie qu'il prend à anticiper un bon plat en y pensant longtemps à l'avance ou encore le plaisir qu'il a à se laisser surprendre par une saveur inconnue sont communicatifs. Bien sûr, en refermant cet ouvrage, on ne peut que se lamenter d'être ici à Paris et non pas à 10 000 kilomètres de là : quelle injustice de ne pas pouvoir prolonger le voyage culinaire dans un vrai petit restaurant 100 % japonais !

Les papilles en alerte, Geisha Line a lu dans la foulée un autre manga centré autour de la cuisine : le premier des cinq tomes de la série Aya, conseillère culinaire, de Ishikawa Saburô. Le style est très différent de celui du Gourmet solitaire et, en un sens, bien plus classique. Dans ce manga, il y a également de succulents plats (japonais... mais aussi français, ou du moins français à la sauce japonaise), des chefs et des restaurants, mais avec ces situations culinaires, il s'agit bel et bien de raconter une histoire. Aya Kisaragi, l'héroïne, est conseillère culinaire pour la société Food Project. Elle a pour mission de redresser les restaurants sur le point de faire faillite. Très sûre d'elle et de son sens du goût hors du commun, elle a des airs de guerrière et est prête à tout pour arriver à ses fins. Elle n'en finit pas de surprendre son jeune assistant Ippei, un peu benêt. Dans cette série, la cuisine est surtout un prétexte pour dresser le portrait d'une héroïne justicière qui laisse une petite impression de déjà-vu. Il s'agit surtout de faire le récit de rapports humains au sein d'histoires familiales souvent complexes, qui heureusement finissent toujours bien. Mais enfin, même si les histoires racontées sont un peu gentillettes, la lecture de ce manga reste un passe-temps tout de même agréable.


Vous avez faim ? Ha, moi aussi ! Hélas, il faudra seulement se contenter de regarder des plats japonais, à défaut de pouvoir en déguster. Pour pousser le supplice encore plus loin, je vous montre ci-dessous un repas ordinaire que nous avons fait un soir dans l'immense gare de Kyoto, à l'étage des restaurants. Deux bentos présentés dans des boites à tiroirs pour profiter avec mesure de plusieurs plats typiques de la cuisine japonaise. Saurez-vous reconnaître ces mets ?
Nous en avons certainement joui autant que le héros du Gourmet solitaire. Sauf que, contrairement à lui, nous ne savions pas toujours reconnaître et surtout nommer ce que nous mangions. Nous disions "ça ressemble à... " ou encore "on dirait du...", mais impossible de mettre des noms sur ces plats que nous n'avions jamais mangé en France. Le plaisir gustatif du "gourmet solitaire" est aussi celui des mots précis, car, même lorsqu'il mange pour la première fois un plat, il peut le déguster en démultipliant son plaisir grâce à la connaissance qu'il a de la cuisine et à sa capacité à maîtriser la dénomination. Nous, pauvres touristes français, nous pouvions souvent, face à nos menus, croquer un met étranger en nous étonnant et en accompagnant notre surprise d'une platitude lexicale - "oh c'est quoi ce truc noir dans la petite assiette ? et cette boule verte, ça a l'air de quoi ?"

Il y a un plaisir gustatif de la cuisine japonaise, ainsi qu'un plaisir pictural, comme l'a dit Roland Barthes. N'y aurait-il pas aussi un plaisir lexical, réservé aux initiés ?


Le Gourmet solitaire
Jirô Taniguchi - Masayuki Kusumi
Traduction : Patrick Honnoré, Sahé Cibot
Collection Sakka
Casterman
2005 (publié au Japon en 1997)

Aya, conseillère culinaire (tome 1)
Ishikawa Saburô
Scénario de Aouchi Akio. Supervisé par Kobayakawa Yôsei
Collection Doki Doki
Bamboo Edition
2007 (publié au Japon en 2004)

  • Sur Le Gourmet solitaire : critique sur le site BD Gest' et jolie page sur la solitude du gourmet sur ce blog
  • Sur Aya : critique sur le site BD Gest' (avec un extrait) et un avis plus négatif sur le site Krinein

mardi 6 mai 2008

Le monde des fleurs et des saules

Lorsque nous étions à Kyoto, nous avons résidé dans le quartier de Gion (à prononcer "Guion", pour ne pas (trop) passer pour des touristes). C'est un endroit connu pour être LE quartier des geishas. En lui-même, le quartier ne paye pas de mine, surtout vu de jour. Ce qui frappe surtout, c'est l'atmosphère traditionnelle et préservée des petites rues, qui contraste avec la modernité de la grande avenue commerçante à deux pas.

Pour espérer voir une geisha, il faut aller dans la rue où se trouvent les maisons de thé.

Une maison de thé, ou ochaya, est l'endroit où les geishas reçoivent leurs clients. Ce sont des maisons à la façade de bois, complètement fermées sur l'extérieur et dans lesquelles un passant curieux ne peut même espérer y passer le bout de son nez. Les services d'une geisha sont hors de prix et seuls quelques hommes triés sur le volet et généralement choisis par recommandation y ont recours.

Que les choses soient claires : une geisha n'est pas une prostituée ! La confusion, répandue chez les non-Japonais, est révélatrice de l'esprit tordu des Occidentaux - même s'il est vrai qu'après la Seconde Guerre mondiale certaines prostituées malintentionnées ont joué sur cette confusion auprès des soldats américains peu regardant en se faisant passer pour des geishas afin d'augmenter leurs tarifs. Au sens étymologique, une geisha est une pratiquante (sha) des arts (gei) qui a pour rôle de divertir les hommes riches. C'est une lointaine ancêtre des bouffons de l'Europe médiévale, le raffinement et la délicatesse en plus. Les arts que pratique la geisha et qu'elle apprend au fil d'une longue formation sont la danse, la musique (avec des instruments spécifiques comme le shamisen, la flûte et quelques tambours traditionnels), la cérémonie du thé (chanoyu) et même la poésie japonaise. On est loin des plaisirs vulgaires, n'est-ce pas ?

Vous allez dire : il en connaît un rayon le Paddy sur les geishas ! A moins que vous me soupçonniez de recopier ici la page de Wikipédia sur les geishas.

En fait, en mettant pour la première fois les pieds à Gion, ni mes maîtres ni moi n'étions si savants. Passé le premier réflexe de néophyte qui consiste à prendre toute femme portant un kimono pour une geisha (oui, shame of us, nous sommes partis de si bas !), nous nous sommes laissés prendre au piège de la naïveté avec une facilité déconcertante. Au détour d'une rue, nous avons vu en effet deux charmantes demoiselles habillées dans de jolis kimonos noués par une grosse ceinture fleurie (obi) et au visage maquillé de blanc. Nous nous sommes exclamés, emplis de l'excitation du voyageur : "Oh, des geishas !" et nous avons fait comme les touristes qui nous entouraient : nous avons mitraillé les demoiselles avec notre appareil photo, fiers d'avoir immortalisé cette rencontre inopinée avec les belles geishas.

En réalité, le fait que les jeunes femmes prennent gentiment la pause, comme des mannequins, aurait dû nous mettre la puce à l'oreille. Les geishas ont bien autre chose à faire qu'amuser les touristes ! Notre amie Noriko nous a appris plus tard, lorsque nous lui avons montré la photo, que ce n'était sûrement pas des geishas, mais simplement de jeunes Japonaises qui s'étaient amusées à se déguiser en geishas. Les geishas sont des attractions même pour les Japonais et on trouve plusieurs boutiques proposant d'imiter la geiko pendant une journée !

En nous promenant dans Kyoto, nous avons continué à croiser des femmes au kimono fleuri et à l'obi noué en "noeud de tambour" ou en traîne. Mais le doute s'était accroché dans notre esprit : comment savoir s'il s'agissait bien d'une geisha ? Encore maintenant, lorsque je regarde cette photo prise d'une jeune femme accompagnée d'un homme, dans les rues de Gion, je me pose la question : est-ce une geiko ? (Si des connaisseurs savent la réponse à ma question, qu'ils m'écrivent !)
Pour être sûrs de voir des geishas vraies de vraies, nous nous sommes dits alors qu'il fallait aller à un endroit où il n'y a que ça : un festival de danse de geishas ! Ces spectacles ont lieu seulement quelques jours dans l'année, au printemps et à l'automne. C'était l'occasion ou jamais ! Nous avons donc pris des billets au théâtre Gionkobu Kaburenjo pour la représentation "Miyako Odori", les fameuses "Danses de la capitale". Assis sur des tatamis tout en haut du théâtre (mes maîtres avaient pris les places les moins chères, les rapiats !), nous avons pu ainsi admirer une heure durant le chant et la danse des geikos. Le spectacle avait pour thème les quatre saisons et nous n'avons eu aucun mal à distinguer les changements de temps, grâce notamment à un jeu de décors bien orchestré. Ce qui a frappé Geisha Line, c'est bien sûr l'extrême beauté des kimonos - réalisés à la main et coûtant une fortune. L'harmonie des gestes et la parfaite coordination des mouvements des danseuses ont dû impressionner Maître Moun. Toutefois, pour être honnête, la musique a quelque peu perturbé nos oreilles occidentales : des notes extrêmement aiguës et des harmonies inédites nous ont rappelé que l'émotion artistique est tout de même très travaillée par l'appartenance culturelle.

Le spectacle nous avait permis d'entrevoir l'univers des geishas. Mais en sortant du théâtre, nous étions encore de vulgaires touristes. Et, comme les flots de touristes étrangers, Maître Moun s'est précipité sur la pauvre geisha qui sortait pour rejoindre son taxi. Comme quoi, il y a bien du paparazzo dans le touriste !

Mais de retour en France, Geisha Line avait le sentiment de ne toujours pas avoir bien compris ce qu'était vraiment une geisha. Par déformation professionnelle, elle s'est dit alors que c'était par un livre qu'elle pourrait en apprendre plus. Elle a donc dévoré le célèbre best-seller de d'Arthur Golden intitulé Geisha et publié en 1997. Ce roman est l'autobiographie fictive d'une geisha de Gion dans les années 1930 et 1940. On y lit tout le parcours de Sayuri, la narratrice depuis son arrivée à Gion, après avoir été vendue par son père à une okya (maison de geisha), jusqu'à ses premiers pas comme maiko (apprentie geisha) sous l'égide de sa "grande soeur" Mameha et en lutte contre la jalousie de sa rivale Hatsumomo. Évidemment Sayuri deviendra une grande geisha, malgré tous les obstacles rencontrés.

Littérairement, le roman n'a pas un grand intérêt. Tous les topoï du récit initiatique s'y retrouvent, avec une insistance particulière sur l'enfance malheureuse, dévorée par les injustices et les brimades pleines de méchanceté. Toutes les ficelles sont là pour émouvoir et tenir en haleine le lecteur bon public. Malgré tout, ce roman est un témoignage précis et complet sur la vie des geishas, leur quotidien et la dureté de leur métier. On pourrait suspecter l'auteur - un homme, et un Américain de surcroît - et s'interroger sur la validité de son récit. Mais Arthur Golden est un professeur spécialiste du Japon et, parce qu'il a travaillé de concert avec une geisha qui l'a beaucoup aidé dans l'écriture de son roman, on peut penser que tout ce qu'il raconte trahit au plus près la réalité. C'est d'ailleurs assez fascinant d'entrer dans le quotidien des geishas. Le métier - du moins tel qu'il était il y a plus de soixante-dix ans - n'est pas aussi rose qu'on pourrait l'imaginer : les jalousies et les vengeances y tiennent une grande place, et les jeux d'intérêts animent l'okiya, où tout est affaire d'intérêts financiers. En 1930, une jeune fille ne choisissait pas de devenir geisha et son destin et ses désirs prenaient rarement la même voie. Elle devait traverser des épreuves révoltantes, comme la cérémonie du mizuage consistant en une mise aux enchères de sa virginité (tradition heureusement interdite par la loi depuis les années 1960) ou sa mise à disposition à un riche danna payant ses frais (et plus si affinités)...

Il y aurait encore beaucoup à dire sur les geikos et les maikos pour espérer comprendre leur art... En attendant, j'ai surpris l'autre soir mes maîtres en train de jouer au danna et à sa geiko, dans leurs yukatas tout neufs ramenés du Japon. Vous me croyez si je vous dis qu'ils prenaient leur rôle très au sérieux ?!



Geisha
Arthur Golden
Traduction de Annie Hamel
Le Livre de poche

  • Le film, adapté du roman, réalisé par Rob Marshall et sorti en 2006. Le personnage principal est joué par une Chinoise, ce qui a fait polémique, on s'en doute !

30 millions d'ennemis

Vous pensez peut-être que la vie de mouton en peluche en voyage au Japon est de tout repos ? Vous vous dites : c'est cool, la vie de Paddy, il est bien au chaud dans une poche de manteau. Pas besoin de marcher et de se fatiguer : il a juste à sortir le bout de son chapeau vert le temps d'une photo !
Hé bien non, détrompez-vous ! Au Japon, j'ai vécu tous les dangers possibles et imaginables. A plusieurs reprises, j'ai vu la mort toute proche et face au danger ma vie a plus d'une fois défilé à vive allure. Si, je vous jure que c'est vrai : mes maîtres n'ont pas hésité à prendre des risques irraisonnés et à menacer mon intégrité pour ramener des photographies de l'extrême.
Jugez-en un peu...
A Koyasan, mes maîtres ont failli me jeter en pâture dans un étang rempli de carpes affamées :

A Nara, ils m'ont mis face à mon destin en me confrontant à une biche effarouchée qui ne ressemblait en rien à un gentil Bambi à la Disney :
... et c'était un vrai daim, et non pas une pâle imitation comme sur la photo ci-dessous :
A Kamakura, au lieu de me faire partager leur repas de rois au restaurant, ils m'ont coincé entre deux monstres terrifiants (qui auraient pu faire de la pub pour du dentifrice) :
A Yudanaka, ils m'ont fait poser devant un singe solitaire qui a été à deux doigts de me kidnapper :
Pffff... Que de frayeurs !

Et voilà que de retour en France, ils me rendent à cette horreur féline, à cette gourgandine indécente prête à toutes les vilaineries pour une misérable croquette :

On a beau avoir traversé la planète et avoir affronté de terribles monstres, quand on se retrouve face à cette félinerie, il y a de quoi voir les poils se dresser tout droit sur la tête (et heureusement que j'ai un grand chapeau pour cacher le malheureux effet que ça donne sur mon brushing !) .

Mais comme il y a une justice sur terre, hier je me suis trouvé vengé. Mina le Ninja a rendu visite au vétérinaire qui, après avoir fait des remarques désobligeantes sur son surpoids et ses tendances à l'obésité, lui a dérobé ses ovaires. Couic, elle a plus rien dans le ventre ! Juste à la place un petit bidon tout rasé et un grand pansement blanc qui, de dos, ressemble à un obi de geisha. En attendant que le ninja se remette de l'opération et récupère ses esprits, ça me laisse un peu de répit. Enfin !